Second avis sur la démolition de l’hôtel Wellington de Sherbrooke

Cette lettre envoyée le 23 novembre vise à alerter les nouveaux décideurs municipaux de la Ville de Sherbrooke sur les biais que nous avons identifiés par rapport à l’étude patrimoniale de l’hôtel Wellington, réalisée dans le cadre du projet Well inc. Nous réitérons également que l’intégration des édifices historiques, plutôt que leur démolition, apporterait une plus-value non négligeable au projet.

Lettre envoyée au maire et au conseil municipal de la Ville de Sherbrooke

Nous souhaitons vous féliciter pour vos nominations au conseil municipal de la mairie de Sherbrooke.

 

La présente correspondance porte sur la démolition de l’hôtel Wellington de Sherbrooke prévue sous peu dans le cadre du projet Well inc. En août dernier, nous avons d’ailleurs envoyé une lettre à votre prédécesseur, M. Sévigny, dans laquelle nous prônions l’intégration du bâtiment de l’ancien hôtel à même le projet. Dans sa réponse en date du 21 septembre, M. Étienne Vézina, directeur de cabinet, justifiait les décisions prises par la Ville en se basant sur un avis patrimonial effectué par les architectes de la firme Jubinville et associés.

 

Tout d’abord, nous jugeons très pertinent votre désir énoncé en campagne d’imposer un moratoire sur le développement du projet Well inc. Cela permettrait en effet d’analyser la structure et les investissements du projet, mais également de considérer plus attentivement ses conséquences sur le bâti historique du secteur.

 

Dans un premier temps, nous avons pris connaissance de l’étude intitulée « Avis patrimonial, Ville de Sherbrooke — Hôtel Wellington ». L’étude en question aurait été faite à l’aide de la grille d’évaluation du Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine (BEEFP), une méthode proposée pour déterminer la valeur patrimoniale des édifices fédéraux. Il s’agit d’une façon quantitative d’évaluer le patrimoine recourant à un système de pointage selon différents critères. Au Québec, les études patrimoniales tendent plutôt à évaluer de façon qualitative, ce qui permet d’établir la valeur patrimoniale relative d’un bâtiment.

 

Le recours à la grille du BEEFP dans le cas actuel mène d’ailleurs à des conclusions qui nous semblent pour le moins étonnantes ; l’ancien hôtel Wellington serait ainsi du point de vue de l’histoire canadienne avec ses 8 points un « très bon spécimen », mais un « bon spécimen à spécimen pratique/utile » du point de vue l’histoire locale avec ses 6 points. Or, cet hôtel est davantage significatif pour l’histoire de la ville et de son centre dont il constitue « un des derniers témoins de son époque » que pour celle du pays. Cela démontre, selon nous, un résultat incohérent qui nous fait remettre en question l’application ou même le choix d’utilisation de cette grille d’analyse.

 

De plus, cette étude accorde une certaine légitimité à la conservation du bâtiment, mais à aucun endroit on n’y met en perspective les coûts de sa conservation comparée à ceux associés à la démolition et à la construction d’un nouveau bâtiment. Il ne faut pas oublier que, bien que rarement chiffrées, les démolitions de bâtiments patrimoniaux entraînent aussi d’importants frais qui s’additionnent à ceux d’un projet de remplacement. Notre expérience nous démontre que les secteurs qui intègrent et entretiennent leur patrimoine ont souvent un meilleur achalandage sur l’artère principale et, potentiellement, une valeur foncière plus élevée. Nous avons d’ailleurs rédigé un article sur les retombées du patrimoine dans l’édition d’hiver 2017 de la Revue québécoise d’urbanisme.

 

Dans un deuxième temps, nous trouvons inquiétant que l’argumentation justifiant la démolition soit basée sur le concept du futur projet. En effet, cette logique est biaisée puisqu’elle révèle une suite illogique des étapes ; la commande d’une étude devrait être préliminaire à tout projet d’aménagement urbain et de nouvelle construction. Or l’avis patrimonial affirme que les deux sections de l’hôtel, datant de 1928 et de 1960, se trouvent géographiquement au centre de la proposition d’aménagement de Well inc., ce qui compliquerait la conservation de l’une ou l’autre de ces sections. Une bonne pratique aurait été de procéder à l’étude patrimoniale pour ensuite élaborer un projet conjuguant de nouveaux éléments qui participent à l’amélioration du secteur avec ceux de l’hôtel qui, comme l’affirme l’avis patrimonial, renforcent le cadre actuel dans lequel il se trouve.

 

 

L’intégration des bâtiments patrimoniaux à même les nouveaux projets de développement peut conférer à ceux-ci une plus-value unique. Dans cet ordre d’idées, un exemple intéressant de projet comparable à Well inc. est celui du Centre d’entrepreneuriat Alphonse-Desjardins (2012) et du DigiHub (2014) de Shawinigan. Ces deux projets regroupent plusieurs dizaines d’entreprises dans le domaine du numérique, au sein d’une ancienne filature de coton datant de 1910 et qui a été restaurée, en accord avec la politique du patrimoine de la Ville de Shawinigan.

 

Nous pensons que la volonté de développement économique et de revitalisation du centre-ville de Sherbrooke dans laquelle s’inscrit le projet Well inc. n’est pas antagonique aux efforts faits par la Ville pour protéger son patrimoine, notamment avec sa politique du patrimoine culturel adoptée en 2013. L’exemple de Shawinigan démontre d’ailleurs qu’on peut allier une telle politique avec le développement économique et la création d’entreprises. Ainsi, malgré l’annonce de la démolition de l’ancien hôtel Wellington, nous avons bon espoir que la reconsidération du projet Well inc. par votre administration pourra également tenir compte de la conservation du patrimoine bâti de Sherbrooke.

Pour lire la précédente correspondance

Suivi du dossier

La démolition de l’hôtel Wellington a débuté le 11 février 2020. Un stationnement étagé, des bureaux et du résidentiel prendront sa place.

Le contenu des avis relève du comité Avis et prises de position (APP) qui a pour mandat de sensibiliser le plus grand nombre à la préservation du patrimoine bâti et des paysages culturels. 

Composé d’au moins cinq professionnels (urbanisme, architecture, histoire et patrimoine, pour plusieurs membres du conseil d’administration), ce comité se réunit à chaque mois. Les dossiers priorisés ont soit valeur d’exemple soit découlent d’une situation faisant craindre une perte imminente.

Par souci de transparence, nous publions les avis et prises de position sur ce site web quelques jours seulement après l’envoi au destinataire.