Lettre ouverte : Saint-Louis-de-France, l’incohérence de trop ?

 

Depuis plus de deux ans maintenant, ou plus précisément depuis la démolition de la maison Boileau à Chambly, le patrimoine bâti est au-devant de la scène. Avec le projet de loi 69 modifiant la Loi sur le patrimoine culturel, adopté en mars 2021, le gouvernement donne davantage de responsabilités aux municipalités et aux MRC en ce qui a trait à la préservation du patrimoine.

 

Manque répété de considération

Cela étant dit, qu’en est-il de la gestion du patrimoine immobilier par l’État ? Au cours de la dernière année, le gouvernement s’est vu reprocher sa gestion dans le rapport accablant de la Vérificatrice générale du Québec (VGQ) en matière de sauvegarde et de valorisation du patrimoine immobilier. Les organismes en patrimoine ont alors dénoncé l’absence de considération du patrimoine dans le projet de loi 66, Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure, adopté en décembre 2020, sans parler des incohérences constatées dans la gestion au quotidien.

 

Malgré le travail effectué, notamment avec le renouvellement de la politique culturelle (2018), les travaux pour la stratégie québécoise d’architecture lancés en 2019, et pour la stratégie nationale d’urbanisme et d’aménagement des territoires annoncés en 2021, nous constatons d’importantes lacunes, non seulement liées à la préservation, mais dans la considération même du patrimoine bâti de la part de l’État.

 

Dès la première page de la loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel, il est fait mention de « favoriser l’exemplarité de l’État eu égard au patrimoine culturel immobilier gouvernemental ». Or, son manquement était un des éléments pointés du doigt par la VGQ.

 

Incohérence et absence de transparence

Nous le constatons, les citoyens manifestent très souvent un sentiment d’attachement à certains immeubles, ensembles ou quartiers. La majorité du patrimoine qui nous entoure ne bénéficie d’aucun statut juridique de protection. Cette dichotomie du discours, selon laquelle ce qui est protégé est patrimoine alors que ce qui n’est pas protégé ne l’est pas, présente une aberration et même une contradiction criante pour tous les acteurs du milieu.

 

Pourtant, c’est précisément de cette façon que le gouvernement agit. Trop souvent, le fardeau du patrimoine est attribué uniquement au ministère de la Culture et des Communications. Qu’en est-il des Transports, de la Santé et des Services sociaux, des Affaires municipales et de l’Habitation, pour ne nommer que ces derniers ? Nous n’aurons de cesse de le rappeler, le patrimoine est une responsabilité partagée. Naturellement, cela ne peut se réaliser qu’avec une considération réelle, à l’intérieur même du gouvernement, et de ce fait, par une plus grande cohésion interministérielle et une vision globale.

 

Église Saint-Louis-de-France

Les citoyens ont décrié la coupe d’arbres sur le site de l’église Saint-Louis-de-France à Québec, attirant ainsi l’attention des médias. Force est de constater que dans le dossier de la maison des aînés, le site, le patrimoine et la requalification du bâtiment existant sont malheureusement relégués au dernier rang.

 

Rappelons-le, le ministère de la Santé et des Services sociaux a acquis l’église en juin 2020 et annonçait son projet, sous-entendant la démolition du bâtiment existant. Construite en 1960, cette église moderne a une valeur patrimoniale exceptionnelle. Cet achat est survenu deux semaines seulement après le dépôt du rapport de la VGQ. Nous avons alors dénoncé le manque de cohérence entre le discours tenu sur l’importance du patrimoine et les actes du gouvernement.

 

Processus opaque

En théorie, l’église se trouve sous la juridiction de la Commission d’urbanisme et de conservation de Québec (CUCQ). Tout projet est voué à être analysé par cette commission. Or, en décembre dernier, le gouvernement a adopté un projet de loi inédit, Loi concernant l’accélération de certains projets d’infrastructure, concernant notamment les maisons des aînés. En résumé, il permet de passer outre à toutes approbations normalement requises de la part des instances municipales.

 

Par « projets mentionnés », nous entendons ici une succession de projets identifiés très succinctement et pour lesquels il est quasi impossible d’identifier l’emplacement et les bâtiments concernés. À cet effet, le gouvernement a fait preuve d’un manque certain de transparence.

 

La loi donne donc carte blanche au gouvernement. Ainsi, cela permet d’ignorer tous les règlements d’urbanisme en place, ce qui va à l’encontre des stratégies élaborées ou en cours d’élaboration.  De plus, aucun mécanisme pour aviser ou consulter les citoyens n’est prévu.

 

Malgré cette loi, un processus reste à suivre. L’organisme public (le gouvernement), doit notifier à la municipalité, ici la Ville de Québec, un avis de projet qui comprend une description de toutes les interventions projetées. Sous 15 jours, la municipalité doit dire si le projet est conforme ou non à sa réglementation et octroyer les autorisations nécessaires. Si la municipalité n’émet pas les autorisations nécessaires ou si elle n’adopte pas un règlement visant expressément à permettre le projet, l’organisme public notifie une déclaration publique de projet lui permettant de passer outre l’opposition de la Ville.

 

Notre organisme a obtenu la confirmation qu’un avis de projet et une déclaration publique avaient été reçus par la Ville de Québec.

 

Quel avenir pour le patrimoine ?

Dans le contexte d’urgence climatique et de nécessité de relancer l’économie, il est inconcevable que le gouvernement ne considère pas sérieusement la réhabilitation de l’église dans son projet de maison des aînés. La démolition et la reconstruction représentent non seulement un coût environnemental énorme, mais sont également contraires aux meilleures pratiques en développement durable. Le Québec peut être fier de ses bâtiments patrimoniaux transformés et cela inclut des édifices à caractère religieux.

 

L’exemple de Saint-Louis-de-France illustre parfaitement l’incohérence de certains scénarios auxquels nous assistons. Action patrimoine ne peut malheureusement que constater un double standard entre le discours tenu sur l’importance de notre patrimoine bâti au Québec et le manque d’exemplarité de l’État en la matière. Le projet de démolition de l’église Saint-Louis-de-France va à l’encontre même de l’esprit de la loi modifiant la Loi sur le patrimoine culturel et des bonnes pratiques actuellement prônées.

 

Nous réitérons notre demande de faire preuve d’exemplarité en intégrant l’église Saint-Louis-de-France au projet de maison des aînés.

 

Guy Drouin et Renée Genest, président et directrice générale d’Action patrimoine.