Terre patrimoniale des Soeurs de la Charité : une agriculture urbaine à inventer

Position d'Action patrimoine concernant la vente de la terre agricole des Soeurs de la Charité, publiée dans le journal Le Devoir le 31 mars 2015

À la fin de 2014, les Soeurs de la Charité annonçaient la vente de leur terre agricole à la Fondation famille Jules-Dallaire au coût de 39 millions de dollars. La formule retenue pour la vente des terres des religieuses mêle affaires immobilières et philanthropie dans une formule développée exprès à l’Agence du revenu du Canada : « développement commercial pour fins philanthropiques ».


Située dans la frange ouest de l’arrondissement de Beauport à Québec, cette terre d’environ 200 hectares (21,5 millions de pieds carrés) sera lotie pour loger d’ici 15 ans 20 000 personnes dans 6500 unités d’habitation. Au final, « une mini-ville », selon Michel Dallaire, représentant de la Fondation et président et chef de la direction chez Cominar. Les religieuses sont enthousiastes de voir les bénéfices des ventes venir soutenir leurs oeuvres sociales par l’entremise de leur propre fondation.


Mais une fois les vivats des parties concernées et des politiciens retombés, on constate que cette transaction suscite de nombreuses questions sur le plan du patrimoine agricole et du développement urbain durable.


Seulement 2 % de la superficie du territoire québécois est constituée de terres propices à l’agriculture. Situées pour la plupart dans la vallée du Saint-Laurent, elles ont été mises à mal au cours des dernières décennies par l’étalement urbain, une tendance lourde qui semble très difficile à freiner. Un rapport du MAPAQ sur l’agriculture périurbaine et urbaine, publié en 2012, souligne même que certaines terres agricoles semblent devenir des réserves pour l’urbanisation et prennent énormément de valeur dans l’attente d’un éventuel dézonage.


Malgré l’élaboration de plans métropolitains d’aménagement et de développement (PMAD) visant la densification des milieux déjà construits, et malgré l’énoncé périodique de notre volonté collective de participer au développement durable de nos milieux de vie, l’étalement urbain progresse d’année en année.

Une terre enracinée dans l’histoire

La terre des Soeurs de la Charité est enclavée dans une zone urbanisée. Elle est toujours zonée agricole : la Commission de protection du territoire agricole du Québec sera donc saisie d’une demande de dézonage prochainement.


Nous croyons que soustraire cette terre à sa fonction première serait une erreur magistrale pour la ville et ses citoyens. Elle fait partie de la plus ancienne trame agricole du pays, les terres de ce secteur ayant été concédées dans la première moitié du XVIIe siècle. […] Les Soeurs de la Charité, dont l’oeuvre hospitalière en santé mentale a été majeure à Québec, sont propriétaires du site depuis la fin du XIXe siècle. Elles y ont entre autres géré un asile d’aliénés dès 1893, auparavant connu sous les noms d’Asile provisoire de Beauport et de Quebec Lunatic Asylum. L’hôpital a été affilié à l’Université Laval en 1923. […]


«Or les terres des religieuses, véritables poumons verts en pleine ville, réputées pour leurs vertus maraîchères séculaires, vont être sacrifiées sur l’autel de l’urbanisation », se sont désolés à juste titre l’historien Michel Lessard et le géographe Bernard Vachon dans un texte publié dans Le Devoir en janvier. Des organismes tels que la fédération régionale de l’Union des producteurs agricoles et le Conseil régional de l’environnement, par l’intermédiaire de son directeur Alexandre Turgeon, ont joint leurs voix pour demander une consultation publique et une réflexion sérieuse.

Projet improvisé ?

Dans le dossier particulier de la vente des terres agricoles des Soeurs de la Charité, la Ville de Québec joue à un drôle de jeu, qui ressemble fort à de l’improvisation. Le développement-surprise d’un nouveau quartier, qui fait fi de la volonté de la Ville de densifier des secteurs urbanisés et de développer des écoquartiers à proximité (D’Estimauville), soulève des questions. La Ville pourrait-elle se soucier de son patrimoine agricole et du potentiel qu’il offre au XXIe siècle, plutôt que de se limiter à considérer les futurs revenus de taxes foncières que ce projet d’étalement urbain apportera dans ses coffres ?


La perte d’une terre agricole patrimoniale est irréversible et commande d’en évaluer les véritables enjeux. Étrangement, ailleurs sur la planète, on s’intéresse à l’agriculture urbaine comme solution à l’urbanisation à tout crin. Et contrairement à ce que certains pourraient penser, elle ne se limite pas à insérer dans la trame urbaine quelques jardins communautaires ou toitures vertes. Beaucoup de formules sont à l’étude afin d’assurer une production agricole de proximité pour les urbains. Peu de villes disposent d’une terre aussi vaste que celle des Soeurs de la Charité au sein de leur zone urbanisée. Voilà une occasion à saisir.

Place à l'imagination!

Nombreux sont ceux qui s’intéressent à l’agriculture urbaine sous toutes ses formes. […] Ailleurs au pays et dans le monde, des initiatives innovantes et mobilisantes font une belle place à la terre agricole en milieu urbain. On peut trouver à cette terre de nouveaux usages. Pourquoi pas la culture maraîchère à proximité des marchés urbains ? On pourrait songer à utiliser les légumes pour répondre aux besoins des oeuvres de charité alimentaire (Moisson Québec, Maison de Lauberivière, etc.) ou des hôpitaux. Il y a place à l’imagination !


Louise Mercier
Présidente

Statut du dossier

Le schéma d’aménagement qui prévoit le développement immobilier sur les anciennes terres des sœurs de la Charité, et sur lequel la Ville de Québec travaillait en novembre 2016, fera l’objet d’une consultation publiques dans les prochains mois. La Ville souhaite l’adopter d’ici 2018.

Le contenu des avis relève du comité Avis et prises de position (APP) qui a pour mandat de sensibiliser le plus grand nombre à la préservation du patrimoine bâti et des paysages culturels. 

Composé d’au moins cinq professionnels (urbanisme, architecture, histoire et patrimoine, pour plusieurs membres du conseil d’administration), ce comité se réunit à chaque mois. Les dossiers priorisés ont soit valeur d’exemple soit découlent d’une situation faisant craindre une perte imminente.

Par souci de transparence, nous publions les avis et prises de position sur ce site web quelques jours seulement après l’envoi au destinataire.