En janvier dernier, Action patrimoine envoyait une lettre à la ministre de la Culture et des Communications du Québec, Mme Hélène David, lui demandant de rapidement se pencher sur la question du classement de l’église Saint-Gérard-Majella. Ce que le ministère fait actuellement. Situé à Saint-Jean-sur-Richelieu, ce lieu de culte conçu par l’architecte Guy Desbarats est considéré comme une œuvre exceptionnelle du patrimoine religieux moderne du Québec. Il est présentement menacé de démolition pour faire place à un ensemble domiciliaire. Son classement pourrait prévenir un tel sort. Selon le promoteur immobilier qui a acheté le bâtiment, « il y a beaucoup d’églises pas mal plus belles que celle-là ». D’après le conseiller municipal, le projet de remplacement est intéressant pour la Ville, car on parle d’un immeuble de qualité : ce dernier comprendra des stationnements souterrains et des ascenseurs…
Les menaces pesant sur Saint-Gérard-Majella ne sont malheureusement pas les seules du genre au Québec. Pensons simplement aux églises Notre-Dame-de-Fatima à Saguenay (que l’on projette de remplacer par une œuvre commémorative) et Sainte-Maria-Goretti à Québec. Dans ce second cas, le promoteur justifie la demande de démolition par ces quelques mots : « C’est bien plus laid avec ce qu’il y a là », en pointant l’église qu’il a lui-même laissée à l’abandon une fois son acquisition faite. Là encore, on promet des immeubles en copropriété en guise de remplacement.
Les défis liés au patrimoine religieux sont connus au Québec. Toutefois, force est de constater que les églises de l’époque moderne font face à un écueil supplémentaire : elles sont mal-aimées. On les trouve laides ; on préfère de loin leurs consœurs plus anciennes, qui auraient apparemment plus de « valeur ». Pourtant, plusieurs églises modernes ont une valeur patrimoniale remarquable, comme le démontrent le Répertoire du patrimoine culturel du Québec ou encore l’inventaire des lieux de culte du Conseil du patrimoine religieux du Québec. Elles sont, pour la grande majorité, des œuvres architecturales d’exception. Seulement, promoteurs, élus et citoyens semblent peu outillés pour les apprécier adéquatement.
Les églises modernes sont un apport majeur à l’architecture québécoise. Elles nous renseignent sur une époque riche en transformations au Québec, tant sur le plan religieux et architectural que de la société en général, qui est alors en mutation. Leur architecture est exceptionnelle et monumentale. Ces édifices recèlent plusieurs prouesses techniques et un langage architectural sculptural souvent unique. Leur implantation, majoritairement en plein cœur des banlieues d’après-guerre, témoigne d’une époque de transition où les noyaux paroissiaux prennent encore une certaine place dans l’organisation de la société, mais où des gestes simples d’aménagement des parcelles accueillant les nouvelles églises distinguent le profane du sacré.
Que dirons-nous dans quelques décennies, lorsque tous ces témoins auront disparu ? Quand tout un pan de notre histoire collective aura été démoli et remplacé par des copropriétés de piètre qualité et des résidences pour aînés construites à la hâte et en trop grande quantité ? Louangerons-nous toujours leurs ascenseurs et stationnements souterrains ? Il ne s’agit pourtant pas d’une fatalité. Mentionnons seulement l’église Saint-Mathias-Apôtre de Montréal, recyclée en restaurant-entreprise d’insertion et d’économie sociale (le Chic Resto Pop), l’église Saint-Denys-du-Plateau à Québec, transformée en bibliothèque municipale largement appréciée de la population (la Bibliothèque Monique-Corriveau), l’église Notre-Dame-de-La-Baie, reconvertie en salon funéraire, ou encore l’église Sainte-Germaine-Cousin, récemment intégrée dans un projet immobilier de Montréal.
Tous ces cas démontrent qu’il est possible et même avantageux de tirer profit de l’architecture de ces constructions uniques. Le patrimoine religieux moderne est majoritairement menacé par des pressions liées au développement urbain des milieux où sont implantées les églises. Or, comment évaluer collectivement la pertinence d’une démolition annoncée sans être bien outillé pour à la fois juger convenablement de la qualité du patrimoine menacé et de la qualité architecturale du projet de remplacement ? Car il est là le véritable enjeu, double : le manque de connaissances et d’appréciation de ce type de patrimoine unique et la vraie valeur des projets de remplacement qui le menacent.
Le ministère de la Culture et des Communications a récemment annoncé l’inclusion des églises construites entre 1945 et 1975 et dont la valeur est jugée exceptionnelle à son programme d’aide financière à la rénovation des lieux de culte. C’est certainement un pas dans la bonne direction pour la préservation des églises modernes. Par ailleurs, les succès de recyclage, de préservation et d’intégration des églises modernes cités précédemment ont quelques leçons à nous apprendre.