Consternation face au projet de loi no 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation

Dans une lettre envoyée le 13 février 2024 à France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation, Andrée Laforest, ministre des Affaires municipales, et Mathieu Lacombe, ministre de la Culture et des Communications, la Table de concertation des organismes nationaux en patrimoine bâti du Québec exprime sa consternation face au projet de loi no 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation.

Mesdames les Ministres,

Monsieur le Ministre,

 

La Table de concertation est un regroupement d’organismes nationaux oeuvrant à la mise en valeur et à la préservation du patrimoine bâti du Québec. Les différents représentants des organismes se rassemblent depuis 2014 pour mettre en commun des enjeux et problématiques et faire front commun dans certaines interventions. La mission de la Table est de regrouper et amplifier les interventions de valorisation du patrimoine bâti afin de promouvoir son appropriation par la société québécoise.

 

Nous désirons exprimer aujourd’hui notre consternation face au projet de loi no. 31, Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière d’habitation, et plus précisément, de l’impact de telles modifications sur l’avenir et la préservation du patrimoine bâti au Québec.

 

Plus particulièrement, la Table de concertation est très préoccupée par l’article 37.2. Cet article permettra à une municipalité locale d’approuver des projets d’au moins trois logements, sous certaines conditions, même si ces derniers dérogent de sa réglementation d’urbanisme. Cela laisse un grand pouvoir discrétionnaire aux municipalités et nous craignons que cela se fasse au détriment du patrimoine bâti sur le territoire.

 

En parallèle, nous notons des incohérences flagrantes avec la Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire, notamment avec la vision stratégique qui mentionne le patrimoine architectural comme une ressource précieuse et non renouvelable. Bien consciente du besoin criant de logements, la Table de concertation croit toutefois que l’article 37.2 créera plus de problèmes à long terme qu’il n’en règlera. La densification doit se faire sainement tout en respectant les plans d’urbanisme, et si ces derniers ne la permettent pas, peut-être faudrait-il envisager de les revoir et de les modifier avant toute chose.

 

Nous partageons également notre inquiétude concernant la protection du patrimoine bâti au Québec durant les prochaines années avec le régime d’exemption qui va permettre la démolition de bâtiments, sous certaines conditions, sans tenir compte des règlements municipaux en vigueur. En effet, déjà chaque année, malgré la Loi sur le patrimoine culturel et les inventaires patrimoniaux réalisés par les municipalités, des immeubles patrimoniaux sont démolis au Québec. De plus, l’exercice d’inventorier le patrimoine bâti n’est pas terminé puisque les municipalités régionales de comté (MRC) ont jusqu’au 1er avril 2026 (selon la Loi sur le patrimoine culturel) pour terminer leurs inventaires régionaux.

 

Ainsi, nous sommes convaincus que le patrimoine bâti du Québec devrait faire partie de la solution pour sortir de la crise de logement. Nous désirons également souligner que certains experts s’entendent pour dire que le bâtiment le plus vert est celui déjà construit. Le patrimoine bâti doit être considéré comme une opportunité s’inscrivant dans une perspective de développement durable dont le coût environnemental (empreinte carbone, GES, etc.) de ses adaptations est moindre que celui des nouvelles constructions. Le patrimoine et son environnement participent aussi à la construction de l’identité culturelle de nos milieux de vie et de nos communautés.

 

Pour ces raisons, nous nous adressons à vous afin de vous demander de faire preuve d’une extrême vigilance, en ce qui a trait à l’application de l’article 37.2. Un processus devrait être mis en place, en collaboration avec le ministère des Affaires municipales et le ministère de la Culture et des Communications afin d’instaurer un comité de suivi des décisions prises par les municipalités dans le cadre de cette loi.

 

En espérant, mesdames les Ministres et monsieur le Ministre, que vous serez sensibles à nos inquiétudes et que vous saurez mettre en place les mécanismes nécessaires à la sauvegarde du patrimoine et de nos milieux de vie.

 

Membres signataires de la Table

Action patrimoine, Renée Genest, directrice générale
Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec, Noémi Nadeau, directrice générale
Association des moulins du Québec, Michel Barry, administrateur
Association québécoise des interprètes du patrimoine, Éliane Bélec, administratrice
Association québécoise pour le patrimoine industriel, Marie-Josée Deschênes, vice-présidente
Corporation des gestionnaires de phares de l’estuaire et du golfe Saint-Laurent, Lise Cyr, déléguée
Docomomo Québec, France Vanlaethem, présidente
Fédération Histoire Québec, Clément Locat, administrateur, président du comité du patrimoine
Héritage canadien du Québec, Jacques Archambault, directeur général

 

Le contenu des avis relève du comité Avis et prises de position (APP) qui a pour mandat de sensibiliser le plus grand nombre à la préservation du patrimoine bâti et des paysages culturels. 

Composé d’au moins cinq professionnels (urbanisme, architecture, histoire et patrimoine, pour plusieurs membres du conseil d’administration), ce comité se réunit à chaque mois. Les dossiers priorisés ont soit valeur d’exemple soit découlent d’une situation faisant craindre une perte imminente.

Par souci de transparence, nous publions les avis et prises de position sur ce site web quelques jours seulement après l’envoi au destinataire.