Patrimoine bâti, comment en arrive-t-on là? Quelques éléments de réponse.

Chronique publiée dans La Presse + le dimanche 9 décembre 2018

Le gouvernement du Québec et ses ministères ont octroyé dans les dernières décennies beaucoup de pouvoir aux municipalités, notamment en ce qui a trait à la gestion, l’entretien et la mise en valeur du patrimoine. De grandes responsabilités qui viennent avec peu d’outils et de moyens financiers pour agir en vue de préserver le patrimoine bâti. Alors, avec tous ces intervenants en jeu, comment en arrive-t-on à la succession de démolitions que nous avons vécu dans les dernières semaines ?   Pour le gouvernement, le classement en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel reste le moyen d’agir le plus important et le plus largement connu. En octroyant au bâtiment une reconnaissance nationale, cela implique théoriquement que « Tout propriétaire d’un bien patrimonial classé doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale de ce bien »[1]. Malgré cette protection, des maisons pourtant classées disparaissent faute de volonté politique, mais aussi de réglementation claire au sein de municipalités. Les prises de position d’Action patrimoine reflètent ce manque, comme en témoigne le cas de la maison René-Lévesque à New Carlisle.   Cette impuissance face à la négligence de certains propriétaires peut s’avérer d’autant plus ardue quand l’édifice ne bénéficie d’aucune reconnaissance à l’échelle nationale. Même dans le cas où les municipalités inventorient leur patrimoine, souvent la gestion se fait en mode réaction et sans réelle vision à long terme de l’aménagement du territoire. Le travail des organismes locaux en patrimoine, des sociétés d’histoire et des citoyens impliqués a souvent peu de poids dans la balance qui les oppose aux intérêts des propriétaires et municipalités, en témoignent la maison Boileau à Chambly démolie sauvagement le 22 novembre dernier, tout comme la maison Vézina à Saint-Denis sur-Richelieu tombée six jours plus tard.   Mais une demande de classement peut-elle vraiment être réclamée systématiquement pour tous les bâtiments? L’avis de classement du Château Beauce, émis par la ministre Roy le lendemain de son entrée en poste, a permis d’arrêter le projet de démolition et de démontrer sa valeur historique et architecturale. Rappelons-le, le classement est une « reconnaissance formelle de la valeur nationale du bâtiment et doit assurer sa protection et favoriser sa transmission aux générations futures »[2]. Toutefois, un refus de classement ou un refus d’intervention de la ministre peut aussi aisément être perçu par certains comme une absence de valeur patrimoniale et ce peu importe son échelle de pertinence (locale, régionale ou nationale).   Parce qu’il est temps d’agir   Bien que le Répertoire du patrimoine culturel du Québec recense déjà les bâtiments d’intérêt patrimonial, l’idée de la ministre d’identifier le patrimoine menacé, inventorié à l’échelle locale, régionale et nationale, pourrait être envisagée. Cependant, nous sommes d’avis que ce répertoire devrait inclure de la part du gouvernement, un accompagnement, une offre d’expertise, du soutien financier et des avantages fiscaux pour les municipalités et les propriétaires. Au-delà de signaler, le gouvernement doit jouer un rôle de chef de file dans la mise en valeur du patrimoine québécois et se doter d’une vision qui concerne l’ensemble des municipalités au Québec.   C’était d’ailleurs l’une des recommandation d’Action patrimoine lors du renouvellement de la politique culturelle “Que le gouvernement du Québec se dote d’une vision claire et cohérente en matière de patrimoine bâti et de paysages culturels et que cette vision soit au cœur des décisions et des actions gouvernementales en matière d’aménagement du territoire”. Bien que cet aspect soit présent dans la politique déposée par le précédent gouvernement, nous croyons qu’un accent plus important devrait être mis sur la définition et l’application de cette vision, et ce pour plus d’impact, dans l’ensemble des ministères concernés. De plus, nous recommandions « Que le gouvernement du Québec se dote d’une politique d’entretien du patrimoine permettant une meilleure protection et une valorisation à long terme »[3]. Par le biais de cette politique, le gouvernement se doit de voir le patrimoine comme une responsabilité partagée avec les municipalités, les propriétaires, les organismes et les citoyens afin d’éviter à l’avenir l’abandon comme stratégie.   À voir dans les prochains jours si la ministre convoquera les acteurs du milieu, qui ont parlé d’une même voix, lors du Sommet national du patrimoine bâti du Québec (Montréal, 1er novembre 2017), concernant la gestion du patrimoine pour laquelle « une révision complète doit être effectuée, afin d’éviter une gestion de pompier »[4] tel que nous l’avons vécu récemment. De plus, nous espérons que la politique culturelle émise par le précédent gouvernement pourra être bonifiée en matière d’entretien du patrimoine pour permettre aux municipalités de mieux protéger leurs bâtiments dans les années à venir. Même s’ils sont malheureux, les différents cas relayés dans les dernières semaines offrent une occasion inouïe au gouvernement de rappeler l’importance du patrimoine bâti dans notre imaginaire collectif, mais aussi pour notre qualité de vie.   Renée Genest, directrice générale, Anne-Sophie Desprez, responsable des communications.     [1] Loi sur le patrimoine culturel – SECTION IV, Paragraphe 1, Alinéa 26. [2] Classement d’un bien patrimonial, site Internet du ministère de la Culture et des Communications [3] Mémoire d’Action patrimoine déposé dans le cadre du renouvellement de la politique culturelle du Québec [4] Échos du Sommet national du patrimoine bâti du Québec, 2017

Dans une chronique publiée dans La Presse + le dimanche 9 décembre 2018, notre organisme revient sur les récentes démolitions de bâtiments historiques et propose une analyse de la gestion actuelle du patrimoine au Québec et des éléments qui